Les brunes : C comme...

Publié le par AM

     

C comme CHARNELLE

 

Pourquoi la brune apparaît-elle souvent venimeuse et cruelle ?

Hitchcock en établira crûment la cause lors de ses Entretiens avec François Truffaut (1967) :

      

Si le sexe est trop criard et trop évident, il n’y a plus de suspense. Qu’est-ce qui me dicte le choix d’actrices blondes et sophistiquées ? Nous cherchons des femmes du monde, de vraies dames qui deviendront des putains dans la chambre à coucher.[…] Je crois que les femmes anglaises, les Suédoises, les Allemandes du Nord et les Scandinaves sont plus intéressantes que les Latines, les Italiennes et les Françaises. Le sexe ne doit pas s’afficher. 

 

La brune n’est donc pas considérée comme une femme du monde, une « vraie dame ». Son sexe, selon l’expression qu’Hitchcock emploie au sujet de deux fausses blondes, Marilyn Monroe et Brigitte Bardot, « s’affiche sur son visage ». 

 

 Pas seulement sur son visage, d’ailleurs. En flânant au musée du Louvre, le spectateur pourra croiser une Odalisque brune (1743-1745), peinte par François Boucher. Sur le ventre, jambes écartées, dans un lit en désordre, elle présente une nudité d’autant plus effrontée qu’elle ne l’est pas entièrement. Une chemise couvre le haut de son corps et dévoile l’épaule, les fesses, les cuisses. L'impudeur y est si assumée que le modèle, pourtant sur le ventre, se tourne vers le spectateur pour le regarder. L’inviter à la rejoindre dans sa couche déjà froissée. Tout, dans ce tableau, retient l’œil parce que tout est pli. Plis du tissu, pli du tapis, pli du cou et pli des fesses. Une même impertinence dans la sensualité de Maja nue (1803) peinte par Goya, solidement appuyée, la tête reposant sur ses bras, et les yeux braqués sur le spectateur. Il faut dire que l’on soupçonne fort la duchesse d’Albe d’avoir servi de modèle à cette insolente nudité. Si les avis s’opposent sur ce point, le soupçon importe. On a cru voir la brune duchesse dans la femme offerte sur la toile. C’est que Marie Teresa del Pilar Cayetana, treizième duchesse d’Albe, semble la parfaite représentante du stéréotype de la brune. Non conventionnelle, elle est masculine dans ses amours. Elle ne pratique pas le saphisme, non, mais elle a l’impensable audace de choisir ses proies. Et elle les choisit parfois, ô horreur ! parmi des gens du peuple. Sa haute noblesse permet en effet à la duchesse d’agir selon ses caprices, c’est-à-dire… comme un homme.   

 Hitchcock recherchait des femmes éthérées, irréelles, glaciales et glacées, à l’opposé de la brune baudelairienne, figure terrienne et sensuelle. Le hic, c’est que la sensualité des brunes ne va pas de paire avec leur soumission. Dans l’imaginaire collectif, la blonde obéit et la brune ordonne. D’où leur statut respectif ambigu, la blonde incarnant à la fois la poupée sexy à la Pamela Anderson et la femme pure, virginale. La brune apparaît donc, dans sa sexualité même, effrayante.

Mais pourquoi le sexe est-il un attribut (viril) de la brune ?

Longtemps, je me suis posé la question. Jusqu’au jour où j’ai lu un texte de l’historien d’art Daniel Arasse. Dans son essai intitulé On n’y voit rien (2000), il parle de la toison de Madeleine. Marie-Madeleine, écrit-il, emplit les toiles, ainsi que l’imagination du spectateur, de ses splendides et luxuriants cheveux blonds. Si les peintres l’ont ainsi représentée, ce n’est pas par hasard. La chevelure de Madeleine occupe le devant de la scène afin de mieux occulter une autre toison, combien moins représentable ! Or ces poils-là, point ceux qui, garnissant son chef, s’exhibent mais les autres, ceux que l’on dissimule, sont noirs. Et Daniel Arasse de regretter que la science ne se soit pas attachée à expliquer pourquoi même les vraies blondes ont un pubis brun. L’historien se fût-il adressé à n’importe qui, n’importe qui lui eût rétorqué qu’il s’agissait d’une banale question de lumière. Exposerions-nous à tout va notre intime toison, celle-ci blondirait comme les mèches au soleil. Mais le détail importe peu. Ce qui compte, c’est l’évidence : la chevelure le plus pâle cache toujours une sombre toison. Ce qui se montre est parfois clair, ce que l’on ne saurait voir toujours foncé. L’Origine du monde, de Courbet, dévoile clairement cette irreprésentable noirceur.

La brune est plus sexuelle parce qu’elle arbore la couleur même du sexe.

      

 Extrait du prochain ouvrage d'Elsa Marpeau : Le Petit Livre des brunes (éd. du Panama, janvier 2007)  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Essais

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