Carpe diem (extrait)

Publié le par AM

  PIERRE DE RONSARD (1524-1585)

 Surnommé « le Prince des Poètes », Ronsard est le chef de file de la Pléiade. Même si l’on retient souvent de lui ses vers élevés dédiés à Cassandre, il a aussi chanté des joies plus simples et plus terrestres. Il y invite sa dame à « profiter du jour présent » avant que sa beauté ne se fane.  Mais ce rappel des affronts infligés par le temps constitue également une louange détournée de la poésie. La vie est fugitive, mais l’art est éternel. En attendant, carpe diem

 A CASSANDRE

 Mignonne, allons voir si la rose

 Qui ce matin avait déclose*

 Sa robe de pourpre au soleil,

 A point perdu, cette vêprée*,

 Les plis de sa robe pourprée

 Et son teint au vôtre pareil.

 Las* ! voyez comme en peu d'espace,

 Mignonne, elle a dessus la place,

 Las, las* ! ses beautés laissé choir;

 O vraiment marâtre Nature,

 Puisqu'une telle fleur ne dure

 Que du matin jusques au soir!

 Donc, si vous me croisez, mignonne,

 Tandis que votre âge fleuronne*

 En sa plus verte nouveauté,

 Cueillez, cueillez votre jeunesse:

 Comme à cette fleur, la vieillesse

 Fera ternir votre beauté.

 

  Les Amours (1553)

 ***

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
"Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle !"

Lors, vous n'aurez servante oyant* telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux* je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croisez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.

Le Second Livre des Sonnets pour Hélène (1578)

 

 ***

 

 Marie, qui voudrait votre nom retourner,

 Il trouverait aimer : aimez-moi donc Marie,

 Votre nom de nature à l'amour vous convie.

 Pécher contre son nom ne se doit pardonner.

 S'il vous plaît votre coeur pour gage me donner,

 Je vous offre le mien; ainsi de cette vie

 Nous prendrons les plaisirs, et jamais autre envie

 Ne me pourra l'esprit d'une autre emprisonner.

 Il faut aimer, maîtresse, au monde quelque chose;

 Celui qui n'aime point malheureux se propose

 Une vie d'un Scythe, et ses jours veut passer

 Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure;

 Hé! qu'est-il rien de doux sans Vénus? las, à l'heure

 Que je n'aimerai plus, puissé-je trépasser!

 Continuation des Amours (1555), VII

 

 

Extrait de Carpe diem, L'art du bonheur selon les poètes de la Renaissance, anthologie présentée par E. Marpeau, Librio, 2006.  

 

 

 

 



[1] Il s’agit d’une référence mythologique. Zeus, pour séduire Danaé qui se refuse à ses avances, se transforme en pluie d’or afin d’abuser d’elle à son insu. 

[2] Nouvelle référence à Zeus qui, pour séduire Europe, se métamorphose en magnifique taureau blanc. La jeune femme grimpe sur son dos et il l’emporte alors loin des siens.

[3] Dans la mythologie grecque, le jeune Narcisse était si amoureux de lui-même qu’à force de se contempler dans l’eau, il s’est noyé.

Publié dans Préface

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